« There are two things to know about me...»


« T’es trop borné ! » Je levais les yeux vers Jay, déjà la bouteille de whisky en main histoire de me tenir compagnie. Bien sûr que j’étais borné, rédacteur en chef merde, si ça ce n’est pas du favoritisme. Surtout quand on a rien demandé… Alors ils avaient tous essayé de me convaincre. Mon père, ce héros, en premier, bien entendu. J’avais promis de lui donner une réponse définitive dans la journée, prenant mon temps pour qu’il accepte mon refus. Parce que non, je n’avais pas l’intention d’accepter un tel cadeau. Ce n’était pas juste, ne l’avait jamais été avec lui, et c’était la chose que je détestais le plus dans notre mode de vie. Là où Jayden se complaisait, je fuyais. Le strasse, les paillettes, toutes ces conneries de gosses de riche, bien sûr que j’en avais profité. Avant de me rendre compte qu’on n’a rien pour rien et que la plupart des personnes m’entourant avaient quelque chose à me demander. Je n’aime pas ça. Être le fils de. J’aimerais pouvoir effacer son nom et imposer le mien. Mais je l’aime trop pour changer quoi que ce soit, et surtout j’ai bien trop de respect pour cet homme venu de loin pour me plaindre de quoi que ce soit. Cependant… je ne veux pas de son cadeau. « Tu l’as entendu, même maman trouve que c’est une belle opportunité, et tu sais pourtant à quel point elle peut être chiante quand ça concerne notre avenir, ou papa… » Il arrivait même à m’arracher un sourire. Oui, elle était pointilleuse avec nous parce qu’elle n’avait eu aucun contrôle sur la vie de son mari, mis à part sa paternité. Était-elle tombée enceinte de moi pour le garder ? Je pense à un oui franc et direct. Ma mère est de ces femmes-là. Elle sait ce qu’elle veut, et n’hésite pas à user de toutes ses armes pour avoir l’objet de son désir. Pour cet homme-là, elle avait touché un point qu’elle savait sensible chez lui : son sens des responsabilités. Mais n’allez pas croire que. Elle l’aime, oh oui, bien plus que n’importe quelle bimbo qu’il aurait à coup sûr rencontré à L.A. si elle n’avait pas été là. Et lui aussi, l’aime. Leur mariage n’est pas rose tous les jours, ils sont banaux, en somme. Toujours est-il que notre mère est très impliquée dans notre vie, à Jay et moi. Discrètement la plupart du temps. Pas cette fois. « J’ai pas l’intention d’accepter son offre Jay. Et tu devrais être content, ça n’avait rien de juste envers toi ! » A son tour de rire. Il venait de prendre place sur le canapé d’en face, faisant tourner l’ambré dans son verre. « Arrête de penser aux autres. » Il me connaissait par cœur, tout comme je le connaissais par cœur. Un an seulement nous séparait lui et moi, et nous avions trouvé très tôt l’équilibre pour que ça fonctionne. Lui était le bourreau des cœurs, le mec populaire qui savait profiter de la vie, savait s’entourer, aussi. Moi, j’étais plus… simpliste, moins téméraire, aussi. A ses aventures d’un soir – dont j’ai eu ma dose – je préférais les relations sérieuses. Lui savait profiter du nom dont il avait hérité. Moi, j’essayais tant bien que mal de m’en défaire. Et pourtant, malgré les nombreuses différences, il savait ce qui était bon pour moi. « Écoute, tu n’as rien à perdre. Fixe tes règles, mène ta barque !... mais laisse pas filer ta chance. » Pour qu’il en vienne à me donner des conseils comme ceux-ci, c’était qu’il avait lui-même pesé le pour et le contre. Et il n’était pas le seul à m’en parler. Tous s’y étaient mis. Ma mère, bien sûr, mais aussi Noah, et Billie…

« J’accepte ton offre, mais à certaines conditions. » Mon père relevait les yeux sur moi. J’avais ruminé toute la journée sur cette foutue décision à prendre. Et ils avaient peut-être raison. « Je t’écoute. » « Le travail, c’est le travail, tu ne m’y traite pas comme ton fils mais comme n’importe lequel de tes employés. On ne parle boulot à la maison que si c’est nécessaire et inversement. Et pour finir… je ne veux jamais que tu acceptes mes idées à contre cœur. Sois franc, toujours. C’est le plus important. » J’avais la mâchoire serrée de ces jours où le conflit régnait avec les membres de ma famille. La plus importante part de ma vie. A eux trois, ils formaient un trop gagnant qui savait comment me toucher un plein cœur. Savait aussi tout de moi, le meilleur comme le pire. Malgré le travail prenant de mon père, nous avions toujours plus ou moins eu cette unité qui faisait de nous ce que nous étions aujourd’hui. La famille Ashmore… au-delà du reste.




« T’avais promis Raph. » Il était en colère, tant mieux, moi aussi. Ce jour-là, Noah m’attendait dans le hall de l’immeuble, et la première occasion pour me tomber dessus était la bonne. J’avais déjà vu mon meilleur ami en colère, mais ce n’était jamais dirigé contre moi, et je n’avais jamais vu ce mélange de rage et de déception dans ses yeux. « Toi aussi t’avais promis, d’accord ? Au bahut, tu te souviens pas ? Après une énième merde dans laquelle tu nous avais mise, "à la vie à la mort mon pote"… foutaise ! Tu t’es barré une première fois et t'as recommencé. » C’était soit ça, soit « Sympa, ton bronzage, il faisait beau là-bas ? » Vous comprendrez alors que le choix était vite fait. Mais je savais aussi que je n’avais pas le droit de lui mettre tout sur le dos. Pas comme ça. Et pourtant. Un vigile s’approcha alors que j’étais sur le point de me prendre une droite dans le nez. Je lui fis signe de s’éloigner, que je pouvais gérer. Attirant Noah dans un endroit plus reculé, celui-ci dégagea son bras de ma main avec vigueur. Qu’étions nous devenu ? Que restait-il de ces années de lycée où nous jouions dans la même équipe de foot à l’intérieur de laquelle nous formions à nous deux notre propre équipe ? De ces soirées à refaire le monde sous prétexte que le nôtre n’était pas assez bien pour deux gars comme nous ? De ces bons veux disques de rock que nous avions usé dans l’autoradio de ma voiture ? De nos rêves, nos envies, illusions dérisoires que nous pouvions partager ? J’avais promis oui, jamais je ne ferais de mal à ta sœur Noah… mais elle m’a eu en premier. « Tu fais le con, je te connais Raphaël, tu crèverais pour elle mais ca te tue de l’admettre ! » C’était à moi cette fois de le plaquer contre un mur, tenant les pants de sa chemise entre mes mains. « Arrêtes ca tout de suite, ca fait un moment que tu n’as plus le droit de… » « De quoi, hein, de quoi ? » Il s’était dégagé non sans mal de cette pression, et, ses yeux dans les miens, j’avais l’impression de me prendre la pire des baffes dans la gueule. « Je suis parti, d’accord. Une fois, pour moi. Et cette fois, pour elle. Mais merde Raphaël, elle avait besoin de ça. Tu le sais. C’était la chance de sa vie, et toi tu fais passer ca pour la pire des conneries. » Soupirant, je me dirigeais vers un banc, le trop plein de tout me montant à la tête. Il ne tarda pas à me rejoindre. Nous restâmes un moment, assis là, devant l’immeuble dans lequel nous travaillerons tous plus tard, à regarder droit devant en pensant au passé, et au futur, incertain. « Elle t’aime, tu sais. » Léger rire ironique, Noah était plus mauvais que sa sœur pour les déclarations de ce genre ! « Et ça donne le droit au gens de tout abandonner, l’amour ? » Je parlais pour elle, bien sûr, mais aussi pour lui. Nous le savions. Nous savions sans dire, la plupart du temps. « Acceptes de lui parler. Laisses là au moins s’expliquer… » Nouveau soupire, je serais les dents plus que de raison. Ce soir-là, je pardonnais à un ami sa maladresse et son absence. Et j’allais la voir.

Nous parlions déjà depuis une partie de la nuit, Billie et moi. Des larmes avaient roulé le long de ses joues, mon cœur avait plusieurs fois cessé de battre, par des mots, des gestes, de simples souffles. Et je l’aimais. « … mais j’ai peur, d’accord ? » J’étais au bord de la crise, et elle n’arrangeait pas les choses. S’arrêtant net à cause de cet élan de sincérité, la blonde me faisait face, cherchant un regard qui se voulait fuyant. « Peur de quoi, Raphaël ? » Sa voix avait mis du temps à s’adoucir, mais elle était maintenant semblable à du velours. Elle voulut tenter une approche, un geste pour moii, mais s’était ravisée à la dernière minute. Elle n’aurait sûrement pas supporté un nouveau refus. « Peur de te laisser repartir de nouveau… peur que cette fois, tu ne reviennes pas… je refuse de me mettre en travers de tes rêves, Billie. » Cette fois elle avait su. Qu’elle pouvait fondre dans mes bras, parce que le contact était nécessaire, pour elle, comme pour moi. Je venais de ravaler ma fierté, mais elle en valait la peine, elle en avait toujours valu la peine. La discussion n’était pas fini, et les problèmes loin d’être réglés, mais nous avions besoin de ce moment, retrouvé, pour de nouveau être ensemble. Le parfum de sa peau, la douceur de ses cheveux, tout me ramenait inlassablement à un cœur battant plus que de raison, pour elle. Cette nuit-là remis les pendules à l’heure après plusieurs mois de silence radio. La nuit suivante, je lui racontais tout ce qu’elle avait manqué ces derniers temps, elle me parlait, encore à tâtons, de son voyage en Afrique, bien trop fraiche douleur dans nos esprits. De Noah, aussi. De beaucoup de choses. Et la nuit d’après, je retrouvais les courbes de son corps que jamais je n’avais pu oublier. Je la touchais de nouveau, tout comme elle, cette nuit-là, toucha mon cœur.