« Il y a un adage qui dit qu’on fait toujours du mal à ceux qu’on aime mais il oublie de dire qu’on aime ceux qui nous font du mal.
Fight Club, Tyler.»

ouloureux
Là, assise sur cette chaise ô combien inconfortable, les lumières qui ornaient le miroir en face illuminaient mon visage laissant ainsi apparaître mes traits tirés par la fatigue que je n'avais cessé d'accumulé depuis de nombreux jours. Mes mains tremblaient, ma gorge était sèche, pourtant ce n'était qu'un soir comme un autre, un soir qui ressemblait à tous ceux que j'avais déjà fait, encore l'un de ces soirs durant lesquels je devrai montrer mes talents avant de m'en aller attendre patiemment dans les coulisses le prochain de mes show, quand encore on ne venait pas à me demander de poursuivre l'un d'entre eux à l'abri des regards indiscrets qu'affichaient tous ces maris infidèles venus passer une soirée à glisser des billets dans les sous-vêtements pailletés des danseuses. Un métier ingrat dites vous? Et pourtant je l'exerçai, pour la simple et unique raison que sans celui-ci je ne pouvais poursuivre mes études de droit qui, avouons le, n'était pas ce qu'il y avait de moins cher. Vivant seule dans un appartement, je me devais de subvenir à mes besoins et pour cela, je me devais d'avoir un métier, certes mes parents m'aidaient dans les finances mais leurs argents ne m'aidaient pas pour payer le loyer ainsi que mes études. Personnes n'étaient au courant et personnes ne devaient le savoir. Sans le cacher, j'ai honte du métier que j'exerce mais il reste cependant l'unique moyen que j'ai trouvé, faisant ainsi passer mes absences nocturnes comme étant des nuits passées dans la bibliothèque de l'établissement, tous ignoraient qu'à la nuit tombée la téméraire et battante Soanah se transformait en Rose, cette femme qui vendait son corps à des hommes tous aussi assoiffés de chairs et de femmes les uns que les autres. La supercherie finirait par se savoir, je le savais, j'en étais parfaitement consciente et pourtant, je continuai à faire vivre ma vie sur un mensonge, mais jusqu'à quand?

Au loin je pouvais entendre la musique battre de plus belles, dans les coulisses toutes les filles présentes s'affolaient, s'habillaient, se changeaient ou se maquillaient, pour ma part j'étais là, assise sur ma chaise, prête à monter sur scène dans les secondes qui allaient arriver, mon coeur s'emballait au fur et à mesure que mon regard se posait sur l'objet que je tenais entre les mains, les larmes ne cessaient de me monter au visage lorsque je regardai cette lettre que j'avais pourtant déjà ouverte à plusieurs reprises, froissée, j'avais attendu d'être dans mon appartement, seule, tranquillement assise sur mon canapé pour l'ouvrir et ainsi découvrir la réalité qui avait eu pour effet de me donner un énorme coup de massue sur la tête. Lui que j'avais détesté, lui que je détestais encore, celui pour qui je n'avais cessé de nourrir une colère immense notamment dû à ses innombrables railleries à mon égard alors que nous étions encore au lycée, lui. En ouvrant la lettre, j'avais découvert non sans un certain étonnement qu'il s'agissait d'un véritable dossier concernant la vie entière des Reynolds, ma famille, mes parents, ceux avec qui j'avais grandi, ceux avec qui j'avais passé les plus belles années de ma vie, ceux qui m'avaient appris à être la femme forte que j'étais aujourd'hui. Qu'avait-il bien pu trouver sur ma famille? Je n'en avais aucunement conscience jusqu'à ce que je commence à lire en détail cette lettre qu'il m'avait posé en main un soir que j'étais assise au bar à boire tranquillement un mélange d'alcool tous aussi fort les uns que les autres, mon petit pêché mignon comme j'aimai l'appeler lorsqu'on venait à me dire que je buvais certainement un peu trop en soirée au point de finir la tête entre la cuvette des toilettes avec un ami venu me tenir les cheveux dans l'espoir que je ne vomisse pas dessus. « Oh mon Dieu, Soanah, regardes toi, tu es blanche comme un cachet d'aspirine! » S'étonna alors l'une des danseuses, posant ses mains froides sur mes épaules dénudées ne manquant ainsi pas de frissonner, je relevai la tête, mon regard se posant dans le miroir avant de finir par la regarder au travers celui-ci, je lui lançai un fin sourire avant de regarder ma silhouette dans ce reflet, elle n'avait absolument pas tord, j'étais blanche, presque malade, mon corps me hurlait d'arrêter de me détruire de la sorte, les cours, le travail, les fêtes, les hommes, je le savais, mon corps ne tiendrait peut-être pas aussi longtemps que je l'espérai, mais ma raison était, à mon sens, suffisante pour me maintenir encore debout sur mes jambes, grave erreur. « Depuis combien de temps tu n'as pas dormi mon chou? » M'interrogea-t-elle alors de la plus douce des façons comme le faisait ma mère lorsqu'elle était inquiète de mon état de santé. En parlant de mère, à cet instant, je ne pouvais cesser de nourrir une colère contre elle, contre eux, tous autant qu'ils soient, je leurs en voulais, chacun à des degrés différents, je leurs en voulais, ma vie n'était finalement qu'un tissu de mensonge, je me pensais être l'unique Reynolds de la ville Avec Keaden mon frère jumeau de deux minutes de plus, au final, j'avais découvert que nos parents nous avaient précédé de deux frères et très certainement même d'un troisième qui n'était que le fruit d'un adultère venant de mon père, à qui, j'avais dés l'instant de cette nouvelle, cessé tout contact avec lui. Je leur en voulais, pourquoi m'avoir caché cette vérité, pourquoi nous l'avoir caché? Pourquoi nous avoir séparé? Pourquoi? Pourquoi avait-je cette envie de vomir, cette envie de partir, cette envie d'hurler ma colère? Pourquoi? « C'est bien gentil de t'inquiéter pour moi mais je n'ai pas besoin de tes remarques pour savoir que j'ai une mine affreuse! » Lui crachai-je alors presque à la figure sur un ton des plus arrogants du monde. Telle était ma personnalité, froide, certes j'aimai beaucoup cette jeune femme mais elle ne restait pas moins une collègue de travail et rien de plus, parler de ma vie privée? Jamais, je n'aimai pas en parler, tout ce qui était privée se devait de rester dans le domaine du privé, pourquoi donc je devrai parler à des personnes que je ne connaissais absolument pas de ma vie privée? Sans même me rétorquer une simple insulte elle fit volte face, retirant ses mains de mes épaules, elle se contenta de pouffer à mon égard avant de s'en aller sur scène. Dans peu de temps mon tour viendrait.

Plongeant de nouveau mon regard sur l'enveloppe froissée que je tenais fermement dans les mains, je réalisai lentement que celle-ci allait à jamais changer ma vie, je n'étais à présent plus seule. Mon coeur s'emballait de plus belle alors que mon regard étudiait avec minutie l'écriture manuscrite qu'il avait, lui que je détestai, et lui qui était, en l'espace de quelques lignes, passé de l'état d'indifférence à l'état de frère, c'est ce qu'il était, c'est ce qu'il avait toujours été, mon frère...
Prenant une profonde inspiration, je posais délicatement la lettre dans mon sac, prenant ainsi soin de ne pas la déchirer – alors que j'aurai parfaitement pu en être capable – me regardant quelques secondes dans ce miroir, je passai une main dans ma courte crinière brune avant d'enlever les traces de maquillage qui avait coulé. C'était à moi…